le 9 mars 2012
Sim Copans : une Voix de l’Amérique (1912-2000)
Lorsqu’on entrait en jazz dans les années 1960, il était quasiment inévitable de « rencontrer » Sim Copans ne serait-ce qu’en feuilletant les programmes de radio dans Jazz Hot. S’il n’y avait alors pas de chaine « exclusive », il y avait beaucoup d’émissions sur de nombreuses stations ce qui garantissait un pluralisme d’expression qui, aujourd’hui, laisse rêveur. Le rôle de Sim Copans aura été celui de la vulgarisation des musiques d’Amérique au long de sa longue carrière radiophonique animant sur les ondes françaises « Panorama du Jazz Américain », « Jazz en Liberté », « Fleuve Profond ». Le mercredi, en 1964, il passe sur Inter Jeunesse (« Jazz dans la Nuit ») juste avant Hugues Panassié (« Jazz Panorama »). Il ne peut être rattaché à la rigueur du pionnier des critiques car dans le même temps sur la même station, il propose le samedi un programme « Folklore et Blues », c’est-à-dire une conception « sans frontière » qui le rapprocherait plutôt d’un Alan Lomax. La station en question devient, la même année, ORTF-France Inter et le jeudi, Sim Copans propose « Negro Spirituals et Gospels » où là aussi il n’est pas dans la ligne des puristes puisqu’il présentera aussi bien Mahalia Jackson que Marian Anderson rejetée par les fanatiques d’une idée cohérente mais fabriquée de l’expressivité noire américaine. Déjà on peut souligner l’apport de Sim Copans qui fut de même l’accent sur le blues, le spiritual et le gospel bien moins documenté et connu à cette époque que le surmédiatisé jazz (quantitativement sinon qualitativement). Mais Sim Copans n’est pas un organisateur comme Charles Delaunay ni un écrivain théoricien comme Hugues Panassié. Pourtant à cette époque, nous avons été frappé par un texte de lui où il démontre, en ce temps là, une culture au dessus de la moyenne : il s’agit de la préface à Le Monde du Blues de Paul Oliver (édition Arthaud, 1962).
Sim Copans est né à Stamford dans le Connecticut en 1912. Il raconte ses débuts pour Jazz Hot (mars 1965) : « Je suis venu au jazz d’une façon très détournée, comme beaucoup d’Américains. J’ai vécu dans une petite ville et mon premier contact avec le jazz c’était…juste après la première guerre mondiale … c’était un petit ensemble de quatre musiciens, des Blancs, des fils d’amis de ma famille, ils jouaient des copies de dixieland…Mais je crois qu’il faut bien dire que tous les Américains ne connaissent pas, tous les Américains n’aiment pas le jazz ». Etudiant à la Brown University, un de ses professeurs le pousse à venir en France en 1932. Il reviendra en France en 1938 pour sa thèse, « perception française de la démocratie américaine sous le second empire ». C’est chez Gallimard à cette époque qu’il rencontre Lucienne Godiard qu’il épouse. Copans a fréquenté l’Université de Nancy et la Sorbonne. Le couple rentre aux Etats-Unis et Sim Copans enseigne le Français à la Columbia University de New York.
Il a déjà une passion : « Quand je suis allé à l’Université, j’aimais les grands noms, mais ce qu’on préférait c’était Tommy Dorsey, Bing Crosby. Je suis venu au jazz assez tard, c’est la vérité, je connaissais mieux le spiritual, le folklore. Je suis venu au jazz au moment où la plupart des gens commençaient à concentrer leurs goûts sur la musique classique. Je peux nommer une date importante : en 1943, à Carnegie Hall, Duke Ellington a fêté ses vingt années de jazz. Il y avait des chefs d’orchestres symphoniques, Benny Goodman, beaucoup de gens importants… Duke joua Black, Brown and Beige, ce fut extraordinaire… Et là le jazz est devenu pour moi quelque chose de très important ». En pleine guerre, il décide d’aller à Londres pour participer à la lutte contre le nazisme. Membre de la « Psychological warfare », il débarque en juin 1944 en Normandie avec le grade de capitaine. On lui donne un rôle puisqu’il parle français : rassurer les populations par sa voix diffusées depuis les haut-parleurs d’un camion équipé en « studio ». Il ne tarde pas à diffuser aussi des disques de musiques américaines pour les GI. « Je me suis trouvé tout à coup forcé d’aider les jeunes Français à savoir ce qu’était la musique américaine et j’ai dû étudier, apprendre ce qu’était une musique que je connaissais mal. Je suis arrivé en France avec un doctorat ès lettres mais pas un doctorat ès jazz !… A la Libération, Sim Copans devient délégué de La Voix de l’Amérique. A partir de 1946, il est invité comme intervenant étranger et grâce à sa discothèque, dans l’émission de Paul Gilson Ce Soir en France (tour du monde autour d’une table) au micro de la Radio française. Sim Copans fait venir son épouse et leur fils. En janvier 1947 c’est la création de Paris Inter et on lui confie la première émission : ainsi naît « Panorama du Jazz Américain » diffusé le samedi entre 12 et 13 heures.
« Ce qui m’a intéressé au début, c’était l’origine du jazz, ce que ça représentait, son rôle dans la civilisation américaine, ce que ça pouvait donner en dehors des Etats-Unis. Je n’avais pas tellement de succès, à mes débuts ; je peux rappeler ici, sans rancune, qu’il y a eu un peu de réticence de la part de certains…un critique français éminent n’était pas très content de mes premières émissions, c’était en 46, 47, le « Panorama du Jazz Américain ». J’essayais de présenter un panorama peut-être pas assez strict pour le jazz… Et j’ai été accusé dans un magazine qui s’appelait Jazz Hot par un nommé André Hodeir ; il a dit que ce n’était pas une émission de jazz et que je ne savais pas très bien de quoi je parlais ». Jusqu’en 1973, Sim Copans animera plus de 4000 émissions.
Sim Copans a aussi animé des conférences dès les années 1950, en France et en Afrique. En 1963, le couple Copans achète une ferme à Lanzac. Bien sûr, pour l’UNESCO, Sim Copans donne une conférence à Souillac, « de la côte des esclaves à la Nouvelle Orléans ». L’intérêt est tel que naît l’idée d’un festival de jazz à Souillac. La première mouture en juillet 1976 présente Marie Knight et Memphis Slim, Copans reste fidèle au gospel et au blues. En tout cas la première manifestation de ce genre dans le Sud Ouest voit le jour grâce à lui.
Sim Copans, touché par le sérieux et la dimension de la passion chez les amateurs français a été le premier fin 1947 à permettre à tout amateur de venir au micro se son émission. « un certain Daniel Filipacchi est venu quatre ou cinq fois, il y a eu André Clergeat aussi, et d’autres encore ». Puis il a invité des musiciens. Il remarque : « les musiciens de jazz ne s’expriment pas tellement bien et, parfois, j’ai un peu l’impression qu’ils disent, en parlant de leur musique, ce qu’ils pensent que l’on veut qu’ils disent ».
Sim Copans a fait son propre cheminement. Déjà en 1965 il affirme : « On ne sait pas exactement quel est l’apport du folklore noir africain au jazz. On ne sait même pas au fond , quel a été le rôle de la Nouvelle-Orléans ». Mais il a repéré quelque chose : « Jelly Roll, admet et prouve que ce qui a compté dans sa musique, au début, c’était le blues, la contribution noire ».
Directeur de la bibliothèque Benjamin Franklin des services culturels américains, membre du conseil d’administration du centre culturel américain, fondateur de l’Institut d’Etudes Américaines sous l’égide de la New-York University, co-fondateur de l’Association des enseignants en langue américaine, il permit le développement des études américaines au sein des universités françaises jusqu’à devenir docteur honoris causa de l’Université de Nancy.
Décédé en 2000, auteur de “Chansons de contestation – reflet de l’histoire américaine” en 2 volumes, auteur de nombreuses préfaces, notamment à “Mister Jelly Roll” d’Alan Lomax, rédacteur de textes de pochettes de disques, Sim Copans laisse tout au long de cette seconde moitié du XXe siècle une empreinte dans le monde français du jazz. Mais un ouvrage aussi qualifié que le New Grove Dictionary of Jazz l’ignore. Un Américain trop français peut-être.
Michel Laplace